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Pour favoriser les comportements désirables… et contraindre les comportements néfastes

Changer le monde plutôt que les gens

Dans les domaines de la santé ou de l’environnement, beaucoup de choses ont été faites pour informer, éduquer, sensibiliser les acteurs, qu’il s’agisse des consommateurs ou des acteurs économiques, pour qu’ils changent de comportements. C’est souvent la première chose à laquelle on pense pour que les individus se nourrissent mieux, gaspillent moins, choisissent des produits respectueux de l’environnement, rémunèrent les agriculteurs de façon plus équitable, etc. Mais le constat maintes fois fait, est que ces mesures, pour parfois nécessaires qu’elles soient, sont insuffisantes pour changer les comportements. Il ne suffit pas de savoir ce qu’il faut faire pour le faire. Il faut aussi que cela soit facile à faire, soit accessible économiquement et conforme ou désirable socialement. Car les comportements souhaitables pour la société sont souvent contraints par un environnement qui les rend plus compliqués, plus coûteux en temps, en espace et en argent, plus atypiques par rapport à ce que tout le monde fait. C’est pourquoi on a très souvent constaté l’efficacité très limitée des mesures d’information, de formation ou de sensibilisation pour changer les comportements. Sensibiliser une population sur l’intérêt des produits issus de l’agriculture biologique ne sert pas à grand-chose si les produits bio sont plus chers ou difficiles à trouver. Expliquer les méfaits de l’usage des sacs plastiques est peu efficace pour en réduire l’usage quand il n’existe pas d’alternatives simples et que les aliments sont déjà conditionnés dans ces sacs lors de la vente.

On a constaté aussi des effets pervers de mesures d’éducation et de sensibilisation. Savoir ce qu’il faudrait faire alors que c’est plus difficile et coûteux à faire, se traduit par un sentiment de culpabilité. C’est ce qu’on appelle une « dissonance cognitive », c’est-à-dire, le décalage entre ce qu’on sait ce qu’il faudrait faire et ce que l’on fait effectivement. Celle-ci engendre un sentiment de culpabilité : on sait que l’on risque d’empoisonner ses enfants avec des résidus de pesticides, mais on ne peut guère faire autrement. En conséquence et pour sortir de cette culpabilité, on finit par refuser de considérer les messages qu’on a reçus, voire par les rejeter. On considère que « ce n’est pas pour moi ; ça ne me concerne pas », voire « c’est faux, ça a été inventé par d’autres pour me contraindre ». L’histoire est pleine d’exemples de rejets des messages : le risque du SIDA, les vaccins, le changement climatique, les produits issus de l’agriculture biologique, etc.

Ce sont toutes ces raisons qui ont conduit le projet AfriFOODlinks à proposer d’expérimenter des changements d’environnements plutôt que d’agir seulement sur les connaissances ou les sensibilités des individus. Qu’entend-t-on par environnements ? En plus de l’environnement cognitif que fournissent l’éducation, l’information et la sensibilisation, on peut distinguer trois autres types d’environnements qui déterminent les comportements :

  • L’environnement physique. C’est ce qui rend plus facile les comportements souhaitables : des produits disponibles partout, faciles à trouver ou à utiliser, etc. On peut faciliter la multiplication d’espaces vendant des produits favorables à la santé ou l’environnement, aménager ces espaces pour les rendre plus attrayants, plus commodes d’accès, plus propres, plus faciles, plus sécurisés, etc.
  • L’environnement économique. C’est ce qui permet que le comportement souhaitable soit aussi ou moins coûteux en argent, en temps, en espace et en charge mentale que le comportement courant qu’on veut changer. Le comportement désiré, doit être d’autant moins coûteux s’il n’apporte pas autant ou plus de satisfactions que le comportement courant. On peut taxer ce qu’il faut éviter, subventionner ce vers quoi s’orienter.
  • L’environnement social. C’est ce qui permet de faire comme tout le monde ou comme les personnes que l’on veut imiter. Un déterminant très important de nos comportements est la conformité sociale : on fait comme les autres pour être inséré socialement. Certains modèles – des personnalités, des stars médiatiques, des influenceurs, etc. – peuvent montrer l’exemple (pensons à la musique, à la mode vestimentaire, etc.). On peut jouer sur ces influenceurs, via des séries télévisées, via des exemples publicisés de personnes admirées ou influentes.

Source: EPHA, 2019

Donnons un exemple pour illustrer notre propos : si on veut promouvoir l’usage de la bicyclette ou des transports publics dans la ville, il ne suffit pas de lancer une campagne de sensibilisation aux bienfaits de ces modes de transport. Tout le monde sait qu’ils polluent moins et que le vélo permet un peu d’activité physique. Mais ce n’est pas parce qu’on le sait qu’on circule en vélo ou prend les transports en commun. Il faut installer des pistes cyclables sécurisées, des garages à vélo abrités, des lignes dédiées et des hautes fréquences de passage des bus (environnement matériel). Il faut que les bicyclettes et les tickets de transport en commun soient accessibles à toutes et tous, quite à les subventionner (environnement économique). Il faut que les leaders d’opinion, celles et ceux qu’on admire ou qu’on veut imiter donnent l’exemple et utilisent ces modes de transport (environnement social).

Mais promouvoir le vélo ou les transports en commun ne suffit pas si, en même temps, on ne lutte pas contre ce qui pose problème : l’envahissement des villes par la voiture individuelle. C’est la même chose dans le domaine de l’alimentation. Changer l’environnement alimentaire ne vise pas qu’à promouvoir des comportements souhaitables. Cela vise aussi à contraindre d’avantage les comportements que l’on veut éviter. Faciliter la consommation d’eau face à une offre surabondante, omniprésente de sodas, parfois moins chers que l’eau minérale, n’aura que peu d’effet sur la consommation de sucre. Changer l’environnement, ce peut donc être aussi empêcher des environnements que l’on sait néfaste pour la santé ou l’environnement, par exemple en taxant ou en interdisant la publicité de produits néfastes, en limitant la densité de magasins ou de restaurants poussant à des consommations risquées pour la santé.

Limiter, interdire, contraindre, légiférer sont des mesures qui ne sont pas à la mode dans des politiques libérales où la libre entreprise est le modèle. Mais n’oublions pas que la gouvernance des systèmes alimentaires de nos villes est profondément inégalitaire : les acteurs les plus puissants sont rarement ceux qui promeuvent santé, environnement et équité sociale. Et il est fort difficile pour petites actions menées à des échelles locales de modifier ces rapports de force. C’est là que les municipalités peuvent jouer un rôle : celui d’arbitrer des décisions politiques en faveur du plus grand nombre de ceux qui subissent des environnements défavorables pour la santé et l’environnement.

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